Synthèse historique
Pau et l'aviation: une passion partagée depuis plus de 100 ans
En janvier 1909, Wilbur Wright découvre Pau, une ville où les sports pratiqués par "la bonne société" règnent en maîtres. Plusieurs centaines de familles étrangères, principalement anglaises, russes, américaines du Nord ou du Sud, ont, depuis la première moitié du XIX°, pris l'habitude de passer l'hiver à Pau. Golf, polo, tennis, jeu de paume, chasse à courre, pêche au saumon, chasse en montagne, aérostation, la réputation de Pau est telle que le International Herald Tribune titre, en 1906 : " Pau is the hub of the Sporting world ! " Pau est le centre du sport mondial !
L'aviateur américain arrive dans une ville en pleine expansion. Le boulevard des Pyrénées, balcon sur un décor de rêve, vient d'être achevé. La villa Beaumont et son Palais d'Hiver est devenue un casino brillant. Le luxe est partout : villas, palaces, rivalisent de confort et reçoivent, sans complexe, le Gotha international.
Pourquoi à Pau ?
En 1908, Wilbur et Orville Wright viennent faire des démonstrations de leur machine, le Flyer, en France, dans le cadre d'un contrat de licence longuement négocié. Un banquier Français, Lazare Weiller, président de la toute nouvelle Compagnie Générale de Navigation Aérienne, a réuni autour de lui un comité d'hommes d'affaires passionnés par les possibles développements de l'aéroplane que les Wright disent avoir mis au point. Le 23 mars 1908, le consortium Weiller conclue un accord de licence pour la somme de 500 000 francs or avec les deux frères qui, en contrepartie, doivent réaliser en France un certain nombre d'épreuves, notamment des vols avec passagers ou lest, et aussi la formation de trois pilotes qui seront désignés par l'Aéro-Club de France.
Au même moment, l'Armée américaine s'intéresse enfin à l'invention des frères Wright et leur demande d'effectuer des démonstrations à Fort-Myers. Pour la première fois, les 2 frères sont séparés.
Arrivé seul à Paris, Wilbur Wright va voir évoluer ses principaux concurrents en France: Santos-Dumont, Latham, Farman, Delagrange, les frères Voisin, Louis Blériot... Ils sont tous bien proches de les rattraper.
En effet, le 13 janvier 1908, Henri Farman réussit, sur avion Voisin, à boucler le premier kilomètre en circuit fermé devant des commissaires officiels. Le culte du secret, entretenu par les Wright, n'est plus de mise... Il faut voler et vite...
Wilbur décline les offres d'hospitalité de Louis Blériot et celles du capitaine Ferber, militaire français qui l'a mis en contact avec Lazare Weiller. Un garagiste, constructeur d'automobiles au Mans, Léon Bollée, propose un de ses hangars, jouxtant l'hippodrome des Hunaudières, à deux pas du célèbre circuit de courses automobiles. L'heure tant attendue est enfin arrivée. Wilbur Wright est-il un génial inventeur ou un vulgaire imposteur ?
Le 8 août 1908, au cours de son premier vol, Wilbur prouve au monde entier la maîtrise totale de son appareil. Louis Blériot et ses amis s'inclinent devant le maître. Le capitaine Ferber déclare : "Sans lui (Wilbur), je ne serais rien". Louis Barthou, ministre des Transports est présent lui aussi. Il félicite Wilbur chaleureusement et montera courageusement et à plusieurs reprises, au Mans puis à Pau, à bord du Flyer.
Pendant l'été et l'automne 1908, devant une foule payante de plusieurs milliers de curieux, Wilbur remporte tous les prix d'aviation: altitude, vitesse, durée de vol. Il amasse une véritable fortune car ces prix sont dotés de sommes importantes offertes par des mécènes, la société Michelin, les grands journaux ou, naturellement, l'Aéro-Club de France.
L'arrivée de l'hiver rend les envols au Mans plus difficiles et les sorties de l'appareil aléatoires. Cela retarde puis stoppe la formation des pilotes qui sont le capitaine Paul Lucas-Girardville, représentant militaire, et les candidats choisis par l'Aéroclub de France, Paul Tissandier et Charles de Lambert. Il va falloir former ces pilotes pour remplir les termes du contrat.
Paul Tissandier est le fils du célèbre savant Gaston Tissandier, inventeur du moteur électrique pour dirigeable. Grâce à Gaston Tissandier, dès 1883, le contrôle d'engins volants plus légers que l'air devenait réalité. La famille Tissandier s'était installée à Jurançon, aux portes de Pau, car le savant jugeait le climat du Béarn idéal pour y poursuivre ses expériences. Comme Tissandier, le magnat James Gordon-Bennett, fondateur de l'International Herald-Tribune, a lui aussi choisi Pau pour se consacrer à son sport favori : l'aérostation.
Dès la fin du XIX°, à Pau, la Science fraternisait avec la Finance. Le gotha de l'aérostation faisait du ciel de Pau un laboratoire d'études et d'expérimentation sur les plus légers que l'air. Les aérostiers venaient du monde entier participer aux Coupes de l'Automobile Club du Béarn dont la fameuse Coupe des Pyrénées, richement dotée par Gordon-Bennett.
Compétitions et défis faisaient rage et le jeune Paul Tissandier en sortait souvent vainqueur.
Les premières écoles d'aviation du monde à Pau
En ce début d'hiver 1908, Tissandier estime qu'un déménagement pour Pau, où l'hiver est plus calme et clément, serait opportun. Aussitôt informé, le maire de Pau, propose l'établissement d'un champ d'aviation sur la Lande du Pont-Long et offre la construction d'un hangar pour abriter l'appareil et loger les Wright.
Wilbur se laisse convaincre et le hangar, dessiné par Wilbur, est construit rapidement. Orville, convalescent après son accident à Fort-Myers, et sa sœur Katharine arrivent enfin à Pau. La fratrie est réunie et fêtée par la colonie étrangère et la population locale.
L'avion est remonté et le 3 février 1909 voit le premier vol d'un aéroplane en Béarn.
Les vols vont ensuite se succéder rapidement, avec les élèves qui peuvent enfin faire un apprentissage régulier. Ces vols attireront au Pont-Long des foules considérables et des célébrités, notamment les rois d'Angleterre, Edouard VII, et d'Espagne, Alfonso XIII.
Le capitaine Lucas-Girardville est rappelé à Paris et ne finit pas sa formation, mais le mois suivant, Tissandier et de Lambert prennent seuls les commandes du Flyer. La deuxième partie du contrat avec la CGNA est accomplie. Wilbur, suivi par Orville et Katharine, gagnent Rome. Le dernier vol de Wilbur en Béarn a lieu le 20 mars 1909.
Ils confient, en mars 1909, la direction de l'école de Pau à Paul Tissandier, qui reçoit un appareil à cet effet. Cette école doit recevoir les clients ayant commandé un "Flyer", dont l'armée française fait partie. L'école Wright de Pau devient la première école d'aviation organisée au monde
Mais les pionniers français vont rapidement dépasser les exploits des Wright. Le 25 juillet 1909, après plus de dix ans d'efforts, l'ingénieur Louis Blériot, à bord d'un monoplan qui résume encore aujourd'hui la forme universelle d'un avion, le fameux Blériot XI, remporte la Coupe du Daily Telegraph en traversant la Manche. Blériot, qui était venu voir les Wright à Pau avait alors déclaré qu'il y ouvrirait une école.
Son succès lui permet de le faire et il inaugure ses installations le 24 novembre 1909, devenant ainsi la seconde école d'aviation installée à Pau.
Dès lors, le ciel de Pau attire à la fois les élèves et d'autres constructeurs d'aéroplanes qui, alors que ferme l'école Wright car le "Flyer" est dépassé, ouvrent leurs propres écoles: ces pionniers de l'industrie aéronautique s'appellent Voisin, Antoinette, Déperdussin, Morane-Saulnier et Nieuport. A cet instant, le Béarn devient un centre d'aviation renommé qui prépare les élèves pilotes civils et militaires au brevet de pilote-aviateur, mis en place par l'Aéro-Club de France et la FAI depuis le 1er janvier 1910.
Les constructeurs vont aussi utiliser Pau comme centre d'expérimentations et de nombreux records du monde seront battus à Pau à cette époque particulièrement faste.
En 1911 est institué un brevet plus spécifique et contraignant de pilote militaire et le premier brevet militaire est décerné à Pau au lieutenant Tricornot de Rose, qui deviendra plus tard, sur le front de Verdun, le créateur de l'aviation de chasse.
L'école militaire d'aviation
En 1912, l'Armée française réalise que l'aviation peut avoir une valeur militaire et comprend l'intérêt de former des pilotes. C'est à Pau que sera construit l'un des premiers hangars militaires français consacré à l'aviation. Pendant la Grande Guerre, l'activité de l'école militaire de Pau, l'une des plus importantes de France, est élevée : De 1914 à 1918, plus de 6 000 militaires, originaires d'une dizaine de pays viendront apprendre à voler et à se battre à Pau.
En 1916, l'école militaire de pilotage se spécialise en école de chasse et développe l'enseignement de l'acrobatie aérienne. De nombreux futurs As de la chasse seront formés à Pau, dont le plus célèbre de tous, Georges Guynemer, symbole de la chasse française. L'escadrille des volontaires américains, fondée par la volonté de Norman Prince et de William Thaw, devenue plus tard "Escadrille Lafayette" verra nombre de ses cadres formées à Pau.
Une récente étude menée par les autorités militaires du Service des Archives, atteste du passage à l'école de Frank Baylies, Julian C Biddle, Charles W Chapman, James Connelly, Edmond Genet, Joseph F Gill, James N Hall, Raoul Lufbery, William Ponder, David Putman, Edward Rickenbaker, Eugene Bullard, Kiffin Rockwell, Dudley G Tucker ou Harold Willis, ainsi que de plusieurs centaines de jeunes combattants américains. Cette unité restera célèbre et ses traditions seront reprises par une unité de l'Armée de l'Air.
Après la guerre, Pau restera un centre d'aviation avec l'arrivée au Pont-Long de la 36ème Escadre de reconnaissance, qui y stationnera jusqu'en 1940. Les GR I/36 et II/36 seront cités à l'ordre de l'Armée aérienne pour leur courage pendant la bataille de France.
Et aujourd'hui...
De nos jours, le bassin de l'Adour est un pôle aéronautique important et a su se développer à partir des implantations industrielles provenant de la politique de décentralisation des industries de défense mise en œuvre à partir de 1936.
En effet, les industriels déjà présents, comme Breguet et Fouga, ceux qui sont venus s'implanter avant ou lors du déclenchement de la seconde guerre mondiale et notamment Messier et Turbomeca, ou ceux qui sont venus avant l'invasion de la zone libre, comme Morane-Saulnier à Tarbes, sont restés et on su participer avec bonheur au renouveau de l'aviation française d'après-guerre.
Le Bassin de l'Adour, partie intégrante d'Aerospace Valley, compte plusieurs leaders mondiaux dans leur domaine: Daher , pour les monomoteurs à turbine, Dassault-Aviation, pour les jets d'affaire "haut de gamme" et les avions de combat, Safran Landing Systems pour les trains d'atterrissage, et Safran Helicopter Engines, pour les turbines d'hélicoptères.
Ces industriels perpétuent, avec les unités militaires et en particulier le 5ème RHC, basé au Pont-Long et les unités de l'Armée de l'Air à Mont de Marsan, la tradition aéronautique du bassin de l'Adour..