Réflexions sur le Flyer et l’école Wright de Pau
Synthèse de souvenirs d’Albert Etévé
Le capitaine Etévé, désigné pour suivre des cours de pilotage sur Wright, arrive à Pau début 1910. Il ne passera pas son brevet à Pau, mais se qualifiera ensuite seul, sur un Flyer commandé par l’Armée. Il deviendra Inspecteur Général de l’Aéronautique en 1935. Il a laissé de nombreuses notes et des livres de souvenirs dont sont extraites, pour une bonne part, les impressions et informations de cet article
Lorsqu’en début 1910 l’activité des écoles d’aviation commence à s’intensifier et notamment à Pau, le mode d’instruction varie notablement d’une école à l’autre, en restant étroitement lié au type d’avion employé.
Par ailleurs, en cette année 1910, les officiers détachés pour passer leur brevet dans les écoles civiles vivent dans un milieu très mêlé, souvent parmi des sportsmen fortunés qui, est-il souligné, « font de l’aviation comme ils ont fait de l’automobile à ses débuts ». Latham, mobilisé pour des manœuvres et à qui un officier demandait « que faisiez-vous avant d’être aviateur? » , répondit tranquillement « J’étais homme du monde »…
Avant les écoles d’aviation militaire, les officiers se sentaient donc souvent les « parents pauvres », eux dont la solde n’était en rien modifiée pour leur apprentissage!
La Capitaine Etévé, déjà reconnu apte à la conduite des dirigeables, arrive donc à Pau le 15 janvier 1910, en accord avec la Compagnie Générale de Navigation Aérienne, titulaire de la licence Wright, pour recevoir son instruction de pilote de Wright, dans le cadre de la commande d’un avion par l’Armée.
Il note:
« Il y a peu d’animation dans cette école. Un hangar abrite deux appareils. Le pilote-moniteur Tissandier, élève de Wilbur Wright, considère l’aviation comme un agrément et non comme un métier. Pour le moment, il n’a qu’un élève, René Gasnier (Brevet N° 39 du 8 mars 1910 – Ndlr) qui, avant de venir à Pau, a construit un aéroplane avec lequel il a volé à Angers.
« Le meilleur des biplans de l’école est celui de Tissandier; on doit l’utiliser pour les brevets. L’autre sert d’appareil d’école. Du 16 au 30 janvier, Tissandier ne vole pas.
(Le temps était pluvieux et le vent assez fort – mais on volait à l’école Blériot le 29 - Ndlr)
Il faut que le temps soit calme et il n’est pas calme quand son mouchoir de soie, qu’il sort de la poche de son veston, remue, même faiblement, quand il est exposé au vent… »
Etévé a ainsi, malgré lui, tout le temps de prendre contact avec l’appareil. Il fait donc quelques commentaires techniques, notamment sur la procédure de lancement:
« Pour le lancement, on pose d’abord sur le rail, du côté du pylône, un chariot muni de deux galets pouvant rouler sur le rail et d’une longue poutre, fixée perpendiculairement au chariot.
Sur le biplan on a préalablement installé un troisième galet supporté par une traverse reliant la partie avant des deux patins…/…
Un manœuvre soutient l’extrémité d’une aile pour empêcher l’appareil de basculer latéralement. Le pilote pousse le levier de commande de profondeur en avant pour que le galet avant ne quitte pas le rail pendant le roulement…/… »
Sous l’effet du moteur et du contrepoids, l’appareil atteint en bout de rail la vitesse, calcule Etévé, de 55 km/h.
« Le moment critique de l’envol est arrivé. Le pilote doit faire cabrer son appareil qui doit quitter le chariot et s’envoler. Mais si le pilote cabre trop, le gouvernail de direction, à l’arrière, accroche le chariot qui a basculé de côté et est arraché.. S’il ne cabre pas assez, l’appareil vole au ras du sol et une motte de terre peut casser la traverse qui soutient le 3ème galet. Ces accidents sont arrivés fréquemment à W. Wright, de Lambert et Tissandier. »
C’est en subissant successivement ces deux accidents, avec les deux appareils pilotés par Tissandier, qu’Etévé doit attendre le 5 février que les appareils soient réparés !
Le 10 février, un décollage est avorté. Le 11, après un nouvel essai infructueux avec l’appareil école, Tissandier prend son appareil et arrive à voler avec Etévé pendant 10 minutes, à 5 mètres du sol…
Il observe alors un phénomène intéressant:
« Pour maintenir le biplan en ligne de vol, le pilote déplace le levier de commande du gouvernail de profondeur plusieurs fois par seconde, ce qui nécessite une attention soutenue. L’appareil n’a donc pas de position d’équilibre stable. »
Il convient de rappeler qu’à l’époque, tous les avions français en essais, commandés par l’Armée, qui dispose ainsi d’éléments de comparaison (Antoinette, Blériot, Farman, Sommer) sont bien plus stables, qu’ils soient biplans ou monoplans.
Le 16 février, nouveau vol, mais interrompu par un bruit de chaîne, laquelle menace de sauter.
« Tissandier est en difficulté avec la CGNA, qui ne lui fournit pas un appareil école en bon état pour continuer, ou plutôt commencer, l’instruction .../... Le Capitaine Etévé reçoit l’ordre de rentrer à Versailles et le Capitaine Largier, qui a seulement reçu le baptême de l’air, rejoint Fontainebleau.
Le 8 mars, Tissandier revient à Pau; on lui a donné un nouveau moteur et ses deux élèves retournent à l’aérodrome le 14 mars. Ils assistent à un vol du moniteur sur l’appareil école, qui tient difficilement en équilibre et atterrit au bout de quelques minutes. Le 15 mars, Tissandier, qui a perdu confiance dans son appareil école, emmène le Capitaine Etévé dans son aéroplane personnel. Au bout d’un demi-tour de piste, le pilote fait un virage brusque au ras du sol et atterrit en cassant un patin et l’extrémité d’une aile.
Le lendemain, il informe ses élèves qu’il n’est plus d’accord avec la CGNA sur la façon dont il fait de l’aviation et quitte Pau.
Il n’y avait pas d’autres élèves que les deux officiers envoyés par Chalais Meudon… ceux-ci ont perdu leur temps pendant 69 jours. »
L’on sait que de Lambert continuera quelque temps d’animer à Villacoublay et Juvisy une école qui utilisera rapidement des Wright munis de roues, puis du stabilisateur arrière « Etévé ». Quatre officiers seront ainsi brevetés.
Mais l’époque du Wright est terminée:
« La disposition du pilote, du passager, du moteur, du réservoir et du radiateur, placés en ligne, côte à côte et en plein vent, entraîne une forte résistance à l’air. Il sera donc impossible d’augmenter la vitesse de l’appareil comme dans les autres avions à fuselage ou carlingue entoilé. »
Ces commentaires d’un témoin et acteur montrent bien l’écart de mentalité, dans cette période charnière, entre les « sportsmen » et des clients déjà dans l’attente d’une aviation opérationnelle.